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Liban et Turquie : baroud n' road de Beyrouth à Istanbul sur les pas d'Alexandre

 
« …Mais les vrais voyageurs sont ceux-là seuls qui partent
Pour partir; cœurs légers semblables aux ballons,
De leur fatalité jamais ils ne s’écartent,
Et, sans savoir pourquoi, disent toujours: allons! »
                                                                                                             Baudelaire


Ce mode de voyage est, par nature presque, destiné à être pratiqué seul. On est toujours solitaire dans l’effort qu’on fournit et dans le but qu’on poursuit. La solitude accorde une grande place à la contemplation et permet de goûter à la beauté des lieux qu’on traverse, comme on déguste un bon cigare, bouffée après bouffée… 
 Comme le chantait Rimbaud, voyager ainsi, sans feu ni lieu, permet à l’esprit d’user le temps aux frottements de la mémoire : au rythme de la marche s’enfilent les vers appris, les leçons de choses…et les rencontres.



« Petit-Poucet rêveur, j’égrenais dans ma course des rimes.
Mon auberge était à la Grande-Ourse.
Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou
Et je les écoutais, assis au bord des routes… »
                                                                                                             Rimbaud

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voyager en wanderer a en outre l’immense avantage d’être très bon marché : j’ôte d’emblée le gite à ma liste de dépense! (et bien souvent la gamelle, étant donné la légendaire hospitalité des orientaux )Ainsi que la merveilleuse liberté que procure un voyage en totale autonomie et indépendance…
 
Pourquoi particulièrement ces deux pays ?
 
Tout d’abord, à cause de la fascination pour le Proche-Orient qu’on aiguisés mes lectures, de T.E.Lawrence à Kessel en passant par l’Iliade et les historiens grecs ou par les nombreux récits d’aventuriers, d’archéologues ou d’historiens, puis par l’étude des écrits locaux : la tradition libanaise fourmille d’érudits, de savants etc. depuis le rayonnement de l’époque phénicienne à l’éclosion au XXe siècle du pays, carrefour incontournable tant d’un point de vue historique que géopolitique au Moyen-Orient.


Deux pays qui, malgré l’implantation très ancienne (dès la préhistoire) de riches civilisations, sont passé au fil des siècles sous la domination ou l’influence de nombreuses dynasties et empires étrangers. Phéniciens, Assyriens, Perses, Grecs, Macédoniens, Omeyyades… se succèdent au rang des puissants, jusqu’à l’hégémonie turque durant la longue période ottomane. Des liens que ne peut tout à fait effacer le temps mais dont il est difficile aujourd’hui de retracer exactement l’influence sur l’évolution des entités ethniques et l’émergence d’Etats très différents.


Une approche qui se veut donc basée tant sur l’écriture que sur mon système de rapport favori : le portrait. Un pays est avant tout un ensemble hétérogène de personnes, qui lui apportent toutes leur personnalité propre ; qui contribuent à dresser ce vaste tableau ethnique et social dont chaque visage est un trait, dont chaque village est une couleur.


L’intérêt de mon trajet réside donc, non pas tant dans un parallèle entre ces deux pays, qu’en une fresque déroulant, à multiples échelles, les caractéristiques culturels et communautaires qui ressortent de ces carrefours du Proche-Orient. Quoique liés par une histoire qui s’imbrique au cours des siècles entre des problématiques religieuses, politiques et sociales, le Liban et la Turquie disposent chacun d’un capital identitaire qui leur est propre, et donne tout son relief aux luttes qui ont éclatées au XXe siècle. Un siècle marqué par l’éclosion de l’arabisme, remettant en cause les clivages ancestraux qui maintenaient jusqu’alors en un frêle équilibre la vaste tapisserie sociale de cette région. A l’instar des riches monuments qui parsèment ces pays, chaque communauté et chaque pierre recèle un trésor et participe à la richesse de l’ensemble architectural. Ainsi j’ai tenté d’observer et d’admirer ces éléments, en particulier et à l’aune de l’entité qu’ils forment…parfois malgré eux.


Lectures, documentation, cartes et guides sont toujours la genèse d’un voyage. En effet un endroit, fut-il d’une beauté à couper le souffle, ne procure pas la même plénitude s’il est vide de sens que s’il inspire la contemplation de l’esprit de pair avec celle des sens. Quand le rêve se précise, vient ensuite la préparation pratique; tous ces petits (et gros) détails, qui permettent la réalisation d’un projet , financement, matériel ( de photo, de croquis, vidéo éventuellement…)
Ainsi que l’indispensable planification ( plus ou moins prépondérante selon le moyen de locomotion choisi) du périple.


Tout ceci contribue à modeler le noyau du voyage. Au fur et à mesure que se dessinent les traits de l’Inconnu dans la réalité, se concrétisent les rêves dans ce bagage personnel qui permet de gravir des montagnes, et de graver ceux-ci dans le sillon de notre route.


« Matérialiser dans l’action une longue méditation faite d’isolement et de rêve »


Disait la grande navigatrice Virginie Hériot ; Le voyage est magique. Mais encore faut-il lui conserver son essence. Pour moi, cette essence réside dans l’effort qui forge la route : « il n’est point de paysage découvert du haut des montagnes si nul n’en a gravit la pente, car ce paysage n’est point spectacle, mais domination. » disait Saint-Exupéry, illustre vagabond lui-aussi. Et quoi de mieux pour grimper ces sommets escarpés de la contemplation que d’user ses semelles aux sentiers de la terre  (ou son fond de culotte à la selle d’une monture- le vélo ayant aussi droit à cette catégorie où il a gagné sa place« à la force du mollet »)!


Le voyage by fair means développe cette capacité d’émerveillement devant le monde et sa beauté. Voyager ainsi, sans feu ni lieu, permet à l’esprit d’user le temps aux frottements de la mémoire : au rythme de la marche s’enfilent les vers appris, les leçons de choses…et les rencontres.


Des horizons dessinés au fil des rencontres: visages et virages, ou l’identité d’un pays sous ses traits les plus vivants.


Peindre le Liban et la Turquie modernes, sur les pas des antiques voyageurs, croisés, pèlerins ou réfugiés ; peindre quelques facettes de ces deux pays, en rehaussant au pinceau ce que la plume ne peut décrire, telle était le fil conducteur des quelques milliers de km au fil desquels j’ai pu remonter le temps, à rebours sur la route d’Alexandre. Chanter Homère sur les rives de Troie, un vieux rêve enfin réalisé grâce aux nombreuses mains tendues sur le chemin et   rendu possible par la fondation Zellidja, qui m’a donné le coup de pouce financier indispensable pour la réalisation du périple.


Voici donc en quelques lignes un échantillon de vagabondage, des cotes de Phénicie à la Constantinople moderne ; un peu de cette essence du voyage, qui je l’espère donnera envie à quelque jeune nomade en herbe de s’élancer sur les sentiers du Proche-Orient.
           
Arrivée à Beyrouth le 2 juillet, un peu surprise au premier abord par l’affluence de forces de police militaire postées tous les 50m dans le centre-ville, je me suis rapidement immergée dans cette ville fort sympathique –quoiqu’encore sévèrement marquée par la guerre-, notamment en me lançant dans la recherche d’une monture. Pas évident de trouver un marchand de vélos dans un pays où l’on compte plus de voitures que d’habitants ! Bécane trouvée et baptisée : en selle sur les pas d’Alexandre, sur mon Bucéphale tout pimpant. Direction le sud. Pas d’entrée en matière ; acclimatation à marche forcée : 40° et pentes à 10%...la montée est raide jusqu’à Beit-ed Dine, tempérée tout de même par les pauses chez l’habitant.


 Et c’est parti ! Me voici lancée sur les routes libanaises, au rythme de l’hospitalité exceptionnelle des habitants, qui ponctuera tout mon (trop court) séjour de merveilleuses rencontres. De Saïda à Sour, puis de Sour à la zone sud (carrefour où les forces de l’ONU gardent l’œil sur les tensions –bien senties- avec Israël et la Palestine…et la Syrie), où j’ai la « joie » de faire plus ample connaissance avec l’armée libanaise à cause de mon appareil photo qui suscite une méfiance extrême chez les habitants,  je m’émerveille chaque jour un peu plus devant la gentillesse et la joie de vivre des Libanais ( sauf dans la partie limitrophe avec Israël, où les gens sont quelque peu suspicieux envers les étrangers…). Malgré les guerres et conflits successifs, ils sont d’une gaieté et d’une hospitalité extraordinaire (parfois même embarrassante quand les familles se disputent  à moitié pour me recevoir !).


Après la Bekaa, et les sites fabuleux (et quasi déserts) d’Anjar et de Baalbek, je me lance à l’assaut du mont Liban, où je reçois l’accueil merveilleux des bergers de la montagne, puis m’enfile dans la vallée très chrétienne de la Kadicha, que j’ai la chance de survoler en parapente grâce à la rencontre d’un instructeur de vol assez excentrique et amoureux de la France. Des paysages à vous couper le souffle et des hôtes aussi amusants qu’attentionnés (ce petit Cohiba série limité pour le 14 juillet m’aurait presque fait verser une larme !) voilà l’impression générale qui m’emplissait quand je suis redescendue vers la côte, où de Byblos je suis remontée à Tripoli.


Tripoli, sûrement un des meilleurs souvenirs que j’aurai du Liban ! Certes, la situation politique est plus qu’instable, mais les affrontements sont cantonnés à des quartiers bien définis et cloisonnés au reste de la ville (assez éloignés du centre-ville et du port d’ailleurs), et les habitants semblent ignorer totalement les évènements qui font la une des actualités internationales, et se passent à leurs pieds… ! À part une franche hostilité envers Bachar el-Assad et le régime syrien (la Syrie entière à vrai-dire), les habitants se désintéressent massivement des affrontements, tant qu’ils n’arrivent pas devant leur porte. C’est dans le quartier du port d’El-Mina que je fais la rencontre d’Hamad, un jeune Libanais dont le rêve était de rencontrer un étranger avec qui parler en Anglais (langue qu’il a d’ailleurs appris en quatre mois de cours…). Là encore, une immersion totale dans le petit monde à part que forme le port. Marins, mécanos, pêcheurs…tout un peuple aussi joyeux qu’accueillant qui m’adopte en attendant mon bateau ; l’âme des Phéniciens n’est pas morte ! Après un grand au-revoir à ce Liban qui m’a charmé, je débarque donc sur les côtes turques, pour un tout autre périple.


Débarquée sur la côte entre Alanya et Mersin, je remonte jusqu’à Gaziantep en passant par Tarsus, Adana etc. Un pays bien différent de ses voisins. L’hospitalité orientale est toujours aussi spontanée, bien qu’un peu moins familiale. Mais c’est ici que le sport commence : rien à voir avec la superficie taille mouchoir de poche du Liban ! Jusqu’à 130km par jour parfois… Un pays immense, mais magnifique. Quel supplice de ne pouvoir s’arrêter des heures à chaque ruine antique ! Vestiges archéologiques et mosquées fabuleuses jonchent la route comme autant de bornes signalant la marche impassible du temps. Au fil des jours, j’apprends à découvrir un peu ce peuple si fier et indépendant ; et à aimer ce pays si coloré, carrefour de civilisations à cheval sur deux continents. De Kayseri à Konia en passant par la célèbre Cappadoce aux accents lunaires, puis de Side à Bodrum ( Halicarnasse), Izmir, et Troie, en longeant toute cette merveilleuse côte, où s’étalent les temples et villes antiques, comme autant de reposoirs de la civilisation grecque, je remonte vers Istanbul, clé de l’Orient et fin de mon périple (en principe…).


Istanbul, cité de tous les symboles aux minarets féériques ; Istanbul, pont entre l’Orient et l’Occident ; mégalopole fantastique et cosmopolite où se croisent les visages et les rivages de tant d’influences… De Constantinople à Byzance puis de cette ode à la Turquie moderne qu’a façonnée Atatürk au début du siècle dernier, la ville aux mille mosquées mérite bien son titre de porte de l’Orient. Toutefois, la facette qui m’a le plus interpellée ici n’est pas tant la position stratégique rayonnante que la place de port, voire de succursale de l’Europe pour la multitude de réfugiés qui stagnent dans la ville, dans le dénuement le plus complet, en attendant une opportunité de rejoindre le vieux continent ; clandestinement pour la grande majorité. J’ai en effet passé une semaine en compagnie des réfugiés et clandestins, venus de Géorgie, d’Arménie (souvent à pied), du Maghreb, ou encore d’Iran, sans compter la communauté Kurde ; toute une micro-société de sans-papier qui, échoués sans moyen sur le pas de la « Porte Istanbul », survit grâce à l’entraide et l’espoir de trouver une meilleure situation de l’autre côté, après des années d’exode et de fuite. Expérience inoubliable qui m’a fait dépasser la façade turque des splendeurs orientales pour découvrir son autre aspect, celui du monde invisible et omniprésent qui forme la majorité de la main-d’œuvre bon marché ; celui des plus miséreux, dénués de tout mais joyeux de partager leurs seuls bien : cartons contre le froid et grillades d’abats contre la faim.


Un petit serrement au cœur en vendant mon fidèle destrier Bucéphale dans le bazar, puis un grand au revoir à ces pays si amicaux. Et je reprends la route de Paris, en faisant quelques détours au passage : Turquie-France en stop, soit quelques kilomètres de poids-lourd à travers l’Europe pour me ré-acclimater tranquillement avant la France…


« Le monde est un livre dont chaque pas nous ouvre une page », disait Lamartine ; le bouquin n’est pas fini, mais ses pages furent aussi passionnantes qu’enrichissantes. Elles ont surtout attisé cette fièvre intarissable d’écrire la suite de la partition, de repartir vers d’autres horizons, découvrir le monde à la lunette du voyage. Bientôt le prochain chapitre j’espère !
 

 

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